lundi 23 avril 2007

...et ça vous étonne?

Discrètement, en marge de la campagne, le gouvernement prépare un décret qui, s'il était appliqué, tuerait l'Internet "made in France". En effet, sous prétexte de surveiller au plus près les internautes, un décret d'application de la loi sur la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004, exige que les éditeurs de sites, les hébergeurs, les opérateurs de téléphonie fixe et mobile et les fournisseurs d'accès à Internet, conservent toutes les traces des internautes et des abonnés au mobile, pour les délivrer à la police judiciaire ou à l'Etat, sur simple demande.
Le décret en préparation exprime le fantasme "Big Brother" : tout savoir sur tout et tous, même l'impossible. Selon ce texte, les opérateurs téléphoniques, les fournisseurs d'accès à Internet, les hébergeurs et les responsables de services en ligne (sites Web, blogs, etc.), devraient conserver pendant un an à leurs frais toutes les coordonnées et traces invisibles que laissent les utilisateurs lors d'un abonnement téléphonique ou à Internet, lors de leurs déplacements avec un téléphone allumé, lors de chaque appel ou de chaque connexion à Internet, de chaque diffusion ou consultation sur le Web d'un article, d'une photo, d'une vidéo, ou lors de chaque contribution à un blog.
En substance, devraient être conservés les mots de passe, "pseudos", codes d'accès confidentiels et autres identifiants, numéros de carte bancaire, détails de paiement, numéros de téléphone, adresses e-mail, adresses postales, le numéro de l'ordinateur ou du téléphone utilisé, le moyen d'accès à un réseau, les date et heure d'appel, de connexion et de chacune de leurs consultations ou contributions sur un site Internet.
Le texte imposerait d'identifier quiconque, en France, aura mis en ligne, modifié ou supprimé une virgule dans son blog, un "chat", ou sur le Web. Même les Etats-Unis de George W. Bush et leur "Patriot Act" post-11-Septembre n'ont jamais envisagé pareille conservation ou réglementation, qui soulèverait sans doute l'opinion publique américaine d'aujourd'hui, mais s'opère sans bruit en France.
Le coût, aussi bien pénal qu'économique, d'un tel dispositif serait colossal pour la France. En cas de résistance, ou juste de passivité, la sanction encourue est lourde : les fournisseurs d'accès à Internet ou les sites Internet français qui ne conserveraient pas toutes ces données seront passibles de 375 000 euros d'amende et leurs dirigeants, d'un an d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, sans compter la fermeture de l'entreprise, l'interdiction d'exercer une activité commerciale, etc.
Lors d'une réunion organisée en catimini le 8 mars 2007 par les ministères de l'intérieur et des finances - le ministère de la justice jouait, une nouvelle fois, les absents -, certains professionnels ont fait valoir, notamment, que cette conservation leur coûterait très cher en stockage informatique et en moyens humains. De plusieurs dizaines de milliers à plusieurs millions d'euros par an de perte nette.
En imposant aux entreprises françaises d'être des auxiliaires de justice ou des "indics", l'Etat fragilise tout un pan de l'économie de demain et de la démocratie d'aujourd'hui, en favorisant qui plus est, la domination déjà outrancière des grands acteurs internationaux de l'Internet, qui ne seront pas impactés à l'étranger. Jusqu'alors, seuls les fournisseurs français d'accès à l'Internet et hébergeurs étaient soumis à cette exigence et l'Etat, qui avait promis des compensations financières aux coûts induits par une surveillance des moindres faits et gestes de leurs clients, met tant de mauvaise grâce à s'acquitter des indemnités dues que certains d'entre eux ont renoncé à en réclamer le règlement, préférant envisager la délocalisation pure et simple de leurs activités...
Toutes les données conservées seraient accessibles à la police administrative (RG, DST, etc.) comme à la police judiciaire, pendant un an. Les réquisitions administratives pour la "prévention du terrorisme" seraient également conservées un an dans des fichiers tenus par les ministères de l'intérieur et de la défense. Les réponses à ces mêmes réquisitions - nos traces, donc - seraient, pour leur part, conservées pendant trois ans supplémentaires et communicables à la police judiciaire.
Ainsi, des données récoltées sur la base de requêtes administratives initialement motivées par la prévention du terrorisme pourraient se retrouver dans le dossier d'un juge d'instruction en charge d'une affaire de droit à l'image, de diffamation ou de contrefaçon, par exemple, sans que les personnes mises en cause par des traces informatiques vieilles de 4 ans, puissent connaître - ni contester - l'origine ou la pertinence de ces données, ni le contexte dans lequel elles avaient été recueillies, en dehors de toute procédure judiciaire, sans magistrat ni contradictoire, quatre ans auparavant.
Ce projet de décret constitue donc une véritable menace de mort. Il est inquiétant pour trois raisons essentielles. D'abord, le coût. A vouloir faire conserver et restituer par les entreprises, sous peine d'investissements à perte, de prison et d'amendes, des traces qu'elles n'ont pas de raisons ou de possibilité d'avoir, la France créerait une distorsion de concurrence au détriment de sa propre économie numérique, pourtant motrice de notre croissance. Un internaute choisira plus aisément un site non surveillé qu'un site français pour s'informer, même s'il n'a rien à craindre de sa recherche.
Ensuite, la confusion entre le renseignement d'Etat et la justice, qui relègue la séparation des pouvoirs au rang de fiction juridique. Enfin, le risque qu'un tel dispositif ferait peser sur la régularité des procédures judiciaires au regard de notre procédure pénale. C'est-à-dire le risque de priver une politique de sécurité de toute efficacité.
D'après un article dePhilippe Jannet président du Groupement des éditeurs de sites en ligne .

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Inquiétant tout çà...
affaire à suivre..


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